Le travail de Priscilla Beccari explore la condition humaine, particulièrement féminine, à travers divers médiums : vidéo, installation, dessin,…
Après des études à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai (BE) en Peinture, P.B participe à des projets marquants, tels que l’exposition pour le Pavillon de Saint-Marin à la Biennale de Venise (2017), une première sculpture dans l’espace public à Mons (BE, 2023), et une collaboration avec Hermès Faubourg Saint-Honoré pour la scénographie des vitrines (Automne 2024).
Son travail met en lumière les corps comme vecteurs d’expressions symboliques, interrogeant les tensions entre intime et politique, tout en réinterprétant les archétypes anciens à l’aune des réalités contemporaines.
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Monographie Art+20, La Médiatine, Benoit Dussart, 2020
Le travail de Priscilla Beccari s’apprivoise lentement, au détour d’images, d’actions et de formes, qui toutes se font échos ou prémisses d’autres. Cet univers en perpétuelle mutation multiplie les ruptures stylistiques et les registres, s’identifie au croisement d’un érotisme carnassier, d’un féminisme en gilet jaune, d’un sens de l’absurde mâtiné d’une touche d’effroi. Il y est question de clôtures domestiques et d’animalité, de femmes valises et de corps inanimés, d’effondrements et d’effronteries.
Le dessin constitue l’épicentre de la pratique, mais il ne faut pas la réduire à cela. Si la densité des traits, le format ou le traitement des supports impressionnent, les œuvres sur papier ne constituent pour autant qu’une partie d’une approche bien plus large, qui sous ses aspects les plus durs ou légers, cultive systématiquement le trouble, le souffre et l’étrangeté. On pense souvent au surréalisme et à l’ironie amère des derniers films de Buñuel, Le Charme discret de la bourgeoisie et plus encore au Fantôme de la liberté : légèreté apparente, bizarrerie logée au cœur du quotidien, bestiaire symbolique, surgissement de la chair, présence éthérée de la mort. Plus fondamentalement peut-être, le travail s’inscrit dans une tradition qui, de Louise Bourgeois à Kiki Smith, fait du corps un support tant fantasmagorique que politique.
Mutants, démembrés, vulnérables, parfois outrageusement sexualisés, les corps sont souvent ceux des amants, de l’enfance, du travail…Ils ne s’appartiennent pas ou plus. Ils s’associent aux sols ou aux murs, en tapissent les surfaces, s’y inscrivent tels des éléments parmi d’autres, tout aussi muets et figés. Les dessins de grands formats forment des architectures plus qu’ils ne les mettent en scène. Le papier s’étend ou se rapièce en fonction du vertige souhaité : les perspectives se tordent, les surfaces se brouillent. L’élasticité des espaces et l’amplitude du vide nourrissent un sentiment d’isolement et de solitude.
Les sujets de ces dessins ne sont pas les êtres qui les habitent mais le décor dans lequel ils se fondent : cuisines, salons, chambre ou salles de bain. Autant d’espaces familiers devenus anxiogènes, cannibales et systématiquement clos. Quelques figurent échappent cependant aux pièges de la domesticité : les Venus, puis aussi une kyrielle de personnages anthropomorphes, homme oiseaux ou béliers, femmes louves… mais leurs ambiguïtés les situent en un entre-deux, suspendus à la frontière du rêve et du cauchemar, comme indifférant et par là même relativement effrayant.
L’aplomb ou les bégaiements du trait, l’aspect malmené des supports et surtout leurs dimensions, offrent à ces images une forme d’incarnation, en prise directe avec l’espace d’exposition. On peut aborder l’ensemble à distance, mais tout invite à s’y impliquer : le spectateur devient témoin, le témoin voyeur… Il y a là une sorte de piège, plutôt exquis, à s’inscrire dans cette suite de formes, y déceler progressivement les aspects les plus étranges, se surprendre des détails les plus crus.
On retrouve les corps solitaires, les amants ou le bestiaire dans les dessins ou monotypes de formats plus modestes. Le jeu sur les perspectives y est moins présent, au profit d’une radicalité plus vive encore. On pense à la femme qui s’effiloche, l’enfant dans le frigo, maman dit que je suis une sale fille… Les titres ont valeur de signature, et sont parfois intégré au dessin. Ici encore, la maison est le lieu de l’aliénation, la nourriture évoque la mort, le désir martyrise.
Le travail sur papier offre un réservoir de formes toujours susceptible d’être activées via la sculpture, la photographie, le film ou la performance. Il est difficile d’ailleurs de tracer une frontière nette entre ces différents médiums. Ce qui fait lien de façon récurrente est la mise en scène du corps de l’artiste. Moulé, photographié ou filmé… il est un objet/sculpture susceptible d’être intégré à l’espace public ou privé. Les jambes, série reproduisant à l’échelle 1 les membres inférieurs de l’artiste, peuvent trouver place dans un parc, un buisson, une cuisinière. Le choix des vêtements et les postures choisies créent l’illusion de cadavres démembrés et transportés en morceaux. Si la taille trop réduite des contenants dans lesquels ils sont maladroitement dissimulés et leur agencement dans l’espace peuvent s’appréhender sous l’angle de l’humour noir et du tragicomique, on y décèlera aussi – la thématique traverse toute l’œuvre – la chosification des êtres, réduits à l’état de viande, d’instruments, de prison ou d’ustensiles.
La femme de ménage est une figure récurrente chez l’artiste. Elle fait corps avec son ballet, son tablier, le foyer, le trottoir. Ses gestes sont tayloriens, ses outils ergonomiques. Elle ne s’économise pas dans l’entretient docile du capital des autres. Elle fait partie des meubles, sa présence ne trouble pas. A cette figure de la soumission consentie s’oppose celle du monstre, de l’animal. L’émancipation n’est pas ici une chose douce : elle froisse, griffe, dévore. Peut-être n’est-ce qu’un phantasme, une chose impossible. Peut-être les corps resteront ils pliés, rangés, menacés et asservis…Mais le travail de Priscilla Beccari ne mène pas à cette impasse. Il suggère bien plutôt, fut-ce désespérément et au prix d’une certaine cruauté, ce qui en nous résiste encore.